Le totem de la compétitivité

On aura rarement vu une campagne idéologico-médiatico-politique aussi intense que celle destinée à faire adorer le nouveau totem de nos sociétés : la « compétitivité » ! Un vrai bourrage de crâne où tous les perroquets des médias se sont évertués à caqueter à n'en plus finir : la compétitivité ! La compétitivité ! Choc, pacte, bataille, il fallait à tout prix asséner au bon peuple la nécessité et la fatalité de la chose... Sans plus s'occuper de la vraie signification du terme qui n'est qu'une variation du dogme anthropologique libéral de la concurrence imposé comme ressort exclusif de toutes les relations humaines. C'est la guerre de tous contre tous laquelle devrait régir tout notre univers, même si cela ne provoque que chaos et malheur auxquels il faudrait néanmoins s'accoutumer puisque les autres font pareil. Un seul projet : vendre plus que les autres ! Un seul dieu : le marché ! Il faut donc être « compétititif », marcher sur le ventre du concurrent, écraser les faibles, piétiner toute humanité pour être à la fin le plus beau et le plus intelligent. Ce qu'ils appellent la « réussite ». On y reviendra.

Mais parlons donc de ce qu'ils nomment « compétitivité ». Ce n'est en fait que du jargon d'entreprise transféré en macroéconomie où il n'a pas grand sens. Comme le signale l'économiste Pierre-Cyrille Hautcoeur, la compétitivité apparaît comme la face présentable de la compétition qui ne vise pas à améliorer la vie de la population mais à réduire les coûts salariaux (Le Monde, 30.10.2012). Le même précise que le « pacte » de compétitivité hollandais, c'est une baisse des salaires pour réconcilier le gouvernement avec le patronat (qui a eu si peur, si! si!) et multiplier les salariés peu qualifiés et à temps partiel, « cette méthode peut aider à réduire le chômage à défaut d'améliorer la vie des chômeurs comme la face caché du « succès » allemand en témoigne ». On voit que en 2012-2013, les sociaux-démocrates ont tenu à célébrer de la même manière la trahison de 1982-1983 !

On nous l'a suffisamment prêché, sur tous les tons et sans prendre de gants (le travail d'inculcation avait été fait) : il faut que les « ménages » (jargon fiscal particulièrement idiot) se sacrifient pour que les « entreprises » puissent reconstituer leurs « marges ». Vous remarquerez que l'on ne dit plus guère « profit », c'est assez peu avenant et les patrons savent eux aussi faire des sacrifices... lexicaux ; tout au plus, pour faire vaguement technique, on parlera de « profitabilité ». C'est une vieille rengaine. Déjà, en 1956, il y a plus de 50 ans, Pompidou sermonnait le bon peuple en invoquant les « dures lois de la compétition internationale pour démontrer qu'un niveau d'emploi élevé ne pourra être assuré que si les travailleurs se montrent raisonnables » (Jean Duret, économiste de la CGT, cité par www.dessousdebruxelles.ellynn.fr). Les « dures lois » ! Comme un fatum devant lequel il n'y aurait qu'à se résigner et subir.

Les économistes à gages se sont mobilisés pour diffuser la bonne parole en publiant tribune sur tribune (toujours la concurrence!) dans la bonne presse. MM . Saint-Etienne, Berbèze, Lorenzi le disent crûment : le moral des entrepreneurs chute (c'est psychologiquement fragile, un entrepreneur) les marges baissent, donc « il n'y a pas d'autre issue que de soutenir les entreprises en faisant supporter aux ménages les charges sociales qui leur reviennent ». D'autres, tout aussi repus mais réputés plus ou moins de gauche ou keynésiens, MM. Aghion, Cette, Elie Cohen, nous la jouent compassionnel. Faute de dévaluation monétaire (à cause de la BCE), il faut faire une « dévaluation fiscale », c'est-à-dire, dans le jargon de ces tartuffes, « transférer le financement de la protection sociale des entreprises vers une fiscalité des revenus à l'assiette plus large ». Et d'essuyer alors une larme : « une telle dévaluation certes (je souligne) réduit le pouvoir d'achat des ménages à court terme » ; plus loin, « certes, ceci s'accompagne à court termed'une réduction des salaires réels nets d'impôts ». On appréciera la rhétorique hypocrite de ce « certes »... On mesurera à quel point ces personnages peuvent facilement s'accommoder des difficultés qu'ils recommandent aux autres d'endurer. Quand on a bien d'autres revenus que les salaires, ça aide...

12 novembre 2012