Les fondamentaux du sarkozysme I
Ces derniers mois ont jeté une lumière crue -pour ceux qui n’auraient pas encore compris- sur ce qu’on pourrait appeler les fondamentaux du sarkozysme. En premier lieu, bien sûr, l’argent, pensée suprême et objectif unique d’une mentalité libérale exacerbée. Le sarkozysme, c’est ainsi, plus que jamais, la prise du pouvoir directe, ouverte, cynique, « décomplexée » comme ils disent, par la grande bourgeoisie capitaliste.
On connaît les accointances directes de Sarkozy lui-même avec les plus grands possédants mais il s’est de plus employé à mettre, sans détour, tout un appareil politique à leur disposition. Il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer les liens de subornation qu’entretiennent les grands détenteurs de richesses avec ce qu’on appelle la « classe politique ». Et particulièrement le clan sarkozyste dont les membres, domestiqués par l’Elysée, sont le plus souvent des personnages qui ont été visiblement choisis pour leur exceptionnelle médiocrité et leur veulerie sans limites, les Lefebvre, Bertrand, Morano, Estrosi, Chatel, Wauquiez, etc. Leur seule préoccupation est de reprendre et amplifier la parole du maître, d’essayer de deviner ses intentions pour prendre un temps d’avance sur les autres, montrer son zèle et se faire bien voir. Ils ne sont même pas capables de penser par eux-mêmes et, régulièrement, les services de l’Elysée leur fournissent, sur divers problèmes, des kits d’arguments, dits « éléments de langage », qu’ils s’emploient alors à reprendre avec l’obséquiosité assez répugnante de courtisans empressés. D’autres jouent un rôle de seconds couteaux, les Hortefeux, Besson, chargés de toutes les basses besognes. Quant aux vieux chevaux de retour, ils font de la figuration en avalant toutes les couleuvres que leur inflige le château, les Fillon, Alliot-Marie, sans parler du pitoyable Kouchner dont l’inutilité au Quai d’Orsay fait presque peine à voir et qui n’a même pas la dignité de refuser le rôle de potiche qui lui est assigné. Il est vrai qu’il a toujours préféré la parade à tout autre comportement.
L’affaire dite Woerth-Bettencourt a révélé au « grand public », comme disent les journalistes, l’étendue des relations personnelles entre politiciens professionnels et membres des classes dirigeantes. Il serait plus juste, d’ailleurs, de parler d’interrelations fondées sur le principe de services réciproques. Ces échanges sont, en outre, évidemment inégalitaires. Que fait l’homme politique sinon se présenter en quémandeur de subsides pour financer une carrière politique, laquelle, cela va de soi, sera menée de façon à protéger les intérêts de ses commanditaires lesquels ne voient ici qu’un investissement comme un autre : un résultat fameux de ce genre de tractations est le bouclier fiscal. Quelle dignité peuvent bien avoir ces personnages que Mme Bettencourt daigne inviter négligemment à sa table. Elle les connaît à peine voire pas du tout et ne fait que suivre sans enthousiasme particulier les indications de son gestionnaire de fortune qui, lui, doit bien les juger utiles à quelque chose. Toute honte bue, les « invités » repartent avec leur enveloppe d’argent liquide, 7 500 euros, dit-on. Comme un pourboire concédé pour de bons et loyaux services passés et à venir. Ou même comme des gages attribués à une domesticité dont il faut entretenir le zèle. En bon français, il y a de la vénalité là-dedans. Car on se doute que Mme Bettencourt n’est pas la seule de la caste dirigeante à accorder ce genre de subvention... On ne s’étonnera pas, ainsi, de voir tel député, parfaitement inconnu jusqu’alors, se réveiller pour faire voter en catimini, tard dans la nuit, dans un hémicycle à peu près vide, une disposition législative fort avantageuse pour telle corporation patronale.
Ces comportements, banalisés sans retenue par le sarkozysme, sont indignes d’une véritable démocratie : les bénéficiaires de ces largesses sont évidemment plus sensibles aux désirs de leurs commanditaires qu’aux intérêts de leurs électeurs. Pratiques malsaines elles n’avaient pas jusqu’alors excité, comme c’est étrange, la curiosité des journalistes. Dans cette modeste rubrique, j’indiquais, le 17 septembre 2009, que M. Woerth, ministre du budget, avait pris le temps d’organiser une « party » au classieux Bristol parisien pour les 400 bienfaiteurs ayant versé au moins 3 000 euros à l’UMP et je signalais l’emploi de son épouse Florence comme gestionnaire de portefeuille chez Liliane Bettencourt dans le cadre de la société Clymene.
23 août 2010