Les valeurs de la gauche
Les mois d'été, l'action politique semble comme suspendue. Ce qui est souvent trompeur. Ils seraient néanmoins propices à la réflexion, à une prise de recul sur les événements. Ils prennent pour l'ensemble de la société la forme des congés payés lesquels apparaissent aux jeunes générations comme des dispositions naturelles ayant toujours existé ! Il faut sans cesse répéter qu'il s'agit en France d'une conquête sociale issue des luttes revendicatives de juin 1936. Le patronat et la droite y dénonçaient alors une incitation à la paresse et hurlaient à la ruine de l'économie. Tout comme le patronat et la droite du XIXème siècle s'opposaient farouchement à la législation sur le travail des enfants qui allait, disaient-ils, mettre les entreprises en faillite ! On entend aujourd'hui les mêmes rengaines avec, par exemple, les « charges » sociales qui « pèsent » sur la « compétitivité ». C'est toujours le même discours de l'exploitation à peine euphémisé...
Il n'y a qu'un seul discours à leur opposer, celui des valeurs de gauche qui est à l'origine de ces conquêtes parce qu'il répond à la nécessité de la justice sociale. Un thème de réflexion majeur va donc porter sur la nouvelle rhétorique d'un lieu commun politique qui consiste à nier désormais le fameux « clivage » gauche/droite. En réalité, du moment que la société s'établit sur la dichotomie dominants/dominés, les valeurs de gauche qui se fondent sur la justice et l'égalité sont intangibles. Leur rayonnement va bien au-delà d'un état momentané et éphémère du champ politique. Le rabâchage d'une disparition de l'opposition entre la gauche et la droite apparaît alors pour ce qu'il est : une opération politicienne. Il ne s'agit pas d'une assertion relevant d'un constat ou d'une analyse, mais d'une énonciation performative, c'est-à-dire d'un discours dont l'objectif est de réaliser ce qu'il énonce. Il ne reste plus qu'à faire ressasser ces enfilades de poncifs par des éditocrates dont le conformisme et la paresse intellectuelle sont garantis (cf. M. Bruno Dive de Sud-Ouest) et le discours peut devenir une réalité au moins électorale.
Reste à voir à qui profite le crime. J'ai déjà produit ici une longue analyse du populisme improprement dit de gauche théorisé par la politologue Chantal Mouffe. Celle-ci récuse le concept même de gauche tout en cultivant une curieuse nostalgie social-démocrate. La lutte des classes est réduite à une péripétie et supplantée par un obscur antagonisme « eux » vs « nous » qui serait à réduire en « agonisme » dans le cadre d'une démocratie libérale renouvelée ! La démarche, nous dit l'auteure, relève « du » politique et non « de la » politique. Tout cela est un peu tortueux et emprunte, il faut tout de même le rappeler, au théoricien nazi Carl Schmitt qui fulminait encore en 1948 contre « les neutralistes, les bons à rien esthétiques, les avorteurs, les incinérateurs de cadavres, les pacifistes » (notice Wikipédia). Ce « populisme de gauche » aurait, dit-on, séduit Jean-Luc Mélenchon. Il est en tout cas aujourd'hui en faillite. Jusqu'à provoquer une crise au sein de la France insoumise. Ce qui ne peut réjouir personne. Cependant l'actuel disciple préféré de JLM, Adrien Quatennens, persiste dans une détestation de la gauche abusivement réduite pour les besoins de la cause au Parti socialiste. Ce qui s'appelle persévérer dans l'erreur...
Quant à l'écologisme politique -qu'il faut se garder de confondre avec l'écologie-, Ivan Lavallée le renvoie à ce qu'il est : une imposture (« Une défaite (LFI), un échec (PCF), une imposture (EELV) », le blog d'ivan, www.ivan2015.com). Enivré par ses 13%, Yannick Jadot se voit déjà à l'Elysée ! Et multiplie les manœuvres politiciennes... Renier la gauche lui permet, pour ratisser large, de proclamer maintenant que l'écologie est compatible avec l'économie de marché ! De quoi perdre toute crédibilité... Même Nicolas Hulot en est revenu et concède : « le libre-échange est à l'origine de toutes les problématiques écologiques » (le Monde, 02.07.2019). Sur l'imposture de l'écologisme, je me permet de renvoyer à la série de chroniques publiées au premier trimestre 2010 (www.nir-33.fr). Rien à changer sur le fond. C'était l'époque où Mamère, toujours clairvoyant, croyait triompher : « ce que la gauche n'a pas fait, Sarkozy l'a mis en place avec le Grenelle de l'environnement ». Ce fut la farce de la taxe carbone sarkozienne, « mesure révolutionnaire » selon l'inénarrable Cohn-Bendit et tellement injuste que le Conseil constitutionnel dut la retoquer. Et les pontes de l'écologisme, Duflot, Mamère, Cohn-Bendit, Hulot qui n'avaient rien vu venir...
NIR 231. 8 juillet 2019