Les opulents larbins du capital

     J'ai déjà formulé des réserves à propos d'analyses sociales sommaires comme celle opposant un mystérieux 1% de super-riches aux 99% représentant prétendument l'ensemble de la société harmonieusement fondu en un joyeux amalgame. « Nous sommes les 99% » était le cri de ralliement du mouvement Occupy Wall Street en 2011 à New-York, en fait un rassemblement d'individualités issues des classes moyennes, aux revendications hétéroclites et incertaines et incapables d'assurer la pérennité de leur « colère ». En France, en 2016, Nuit debout a été un phénomène semblable, avec sans doute plus de réflexion et de radicalité, mais dont le sympathique objectif de « convergence des luttes » s'est avéré bien trop ambitieux. Ce raccourci des 99% entretient une dangereuse confusion sur laquelle je vais revenir.

     Mais d'abord qu'est donc ce fabuleux 1% ? Ce chiffre est évidemment symbolique. On se demande si certains n'ont pas intérêt à entretenir le flou à son propos. Le terme le plus utilisé est ici oligarchie. Mais qui sont les oligarques ? En France, ils sont moins de 2 000 à posséder plus de deux fois le PIB, cela fait bien moins de 1%. Autre statistique, 10% des « ménages » possèdent la moitié du patrimoine français. Entre 0,003% et 10%, il y a de la marge... Le terme oligarchie lui-même doit être interrogé : c'est le pouvoir de commandement d'un petit nombre d'individus. Mais qui sont ces individus ? Les riches, et même les plus riches, évidemment, les riches au pouvoir cela s'appelle une ploutocratie, laquelle, de Sarkozy en Macron en passant par Hollande, n'a cessé de prospérer et de se légitimer. L'historien Alfred Charles, dans son ouvrage La révolution de 1848 et la Seconde République à Bordeaux et dans le département de la Gironde (Editions Delmas, 1945), utilise le terme rare, venu de Platon, de timocratie qui peut se définir comme le gouvernement des riches par les riches et pour les riches et caractérisé par la recherche permanente des honneurs et de l'opulence financière. Pour Alfred Charles, cela s'applique parfaitement à la monarchie de Juillet (1830-1848), particulièrement à la municipalité bordelaise où, en 1830, le maire Joseph Brun, riche négociant, est flanqué d'un trio d'adjoints aussi oecuménique que richissime, négoce, banque, etc. les Dufour-Dubergier (catholique), Guestier junior (protestant), Rodrigues (juif). Il y a bien des points communs entre la ploutocratie louis-philipparde et la ploutocratie macronienne. Sous Louis-Philippe, le système électoral est officiellement censitaire : ne votent que ceux qui ont suffisamment de biens pour franchir le seuil d'imposition nécessaire, c'est le cens. D'où la célèbre apostrophe de Guizot : « enrichissez-vous »... pour devenir électeur ! Aujourd'hui, il n'y a plus de cens institutionnel mais la démocratie libérale fonctionne depuis toujours en s'efforçant d'écarter les classes populaires des enjeux politiques, ainsi moins de la moitié des électeurs ont participé aux dernières élections... Macron n'est que le produit d'un système censitaire qui ne dit pas son nom.

     Quant aux 99%, comment pourrait-on croire à l'homogénéité d'un conglomérat aussi baroque ? Des groupes sociaux y ont des intérêts divergents, les classes moyennes tiennent toujours en suspicion les classes populaires, reprenant à leur encontre les préjugés forgés par la bourgeoisie. Pire, une large fraction des classes moyennes supérieures assume de servir le capital avec zèle, comptant bien en tirer des prébendes et espérant peut-être accéder un jour à l'oligarchie, récompense ultime de leur servilité, à l'image de leurs modèles, les Ghosn, Tavares... opulents larbins de la grande bourgeoisie. Ce sont les parasites et les profiteurs de la jungle entrepreneuriale, une horde de consultants, managers, experts, lobbyistes, affairistes divers, tous nantis de cet « habitus spécifique qui appartient à la sphère de l'entreprise » (Mathieu Slama, www.le figaro.fr). Tout un monde de rivalités et de bassesses, de rapacité, de cynisme et de carriérisme...

     Macron lui-même n'est pas un oligarque mais un larbin doré sur tranche, sa fonction est d'assurer la rentabilité et la pérennité du capital. Il a commencé comme spécialiste bancaire de la vente et revente d'entreprises -fusions/acquisitions dans leur jargon-, opérations nécessitant un mépris total des salariés, un bon plan de licenciements y étant toujours un excellent argument de vente car permettant de valoriser les actions en Bourse... Pour Macron et ses acolytes, les salariés ne sont jamais autre chose que des coûts, des charges, des obstacles à la rentabilisation du capital !

 

NIR 190. 2 octobre 2017