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De l'école III : genèse des inégalités scolaires

Les travaux de recherche en éducation montrent bien, aujourd'hui, que les inégalités scolaires se construisent dans le déroulement même de la classe sur la base des inégalités sociales. J'ai déjà cité le livre de Stéphane Bonnéry, Comprendre l'échec scolaire. Elèves en difficulté et dispositifs pédagogiques (La Dispute, 2007) qui en donne une bonne synthèse. L'école fonctionne sur un certain nombre de préjugés et de conventions jamais interrogés. Elle se fonde sur des dispositions jamais explicitées parce que jugées universelles alors qu'elles sont constituées en dehors de l'école dans les modes de socialisation et les pratiques culturelles de groupes sociaux à forts capitaux économique et/ou culturel. L'école véhicule un modèle du bon élève naturellement doté du plaisir d'apprendre et du désir de savoir, dispositions sans doute présentes au départ chez la plupart des enfants mais qui, pour beaucoup d'entre eux, seront vite découragées. Elles doivent en effet se transformer en attitude positive d'appropriation de savoirs prenant place harmonieusement dans un ensemble déjà constitué. Hors, cela ne va pas de soi.

Le bon élève comprend immédiatement ce qui est attendu de lui, il sait mobiliser les bonnes postures intellectuelles, comme dit Bonnéry, car il évolue dans un univers familier d'évidences scolaires qu'il partage avec l'enseignant. On peut parler ici, entre ce type d'élève et l'enseignant, de connivence culturelle, l'élève « brillant », supposé doté de spontanéité et d'autonomie, est très gratifiant professionnellement pour le maître qui peut, peut-être, y trouver l'écho de l'antique billevesée du « charisme » professoral. Il n'y a évidemment ici aucune stratégie explicite, juste le constat que l'enseignant enseigne comme il a été enseigné et qu'il transfère dans sa classe l'habitusqu'il a constitué en tant que (bon) élève... Un habitus qui ne le porte guère spontanément vers cet autre type d'élève dont l'univers mental et social lui est méconnu. Ce n'est pas faute de bonnes intentions. On lui a appris, par exemple, que l'autonomie, la créativité étaient des dispositions universellement partagées et prêtes à s'épanouir spontanémént si l'environnement est propice... Elles supposent en réalité, dans le cadre scolaire, un arrière-plan d'acquis culturels dont l'absence renvoie les enfants de milieux populaires à leurs difficultés et à leurs « manques ». L'enseignant est alors bien déçu, lui qui croyait qu'il suffisait de mettre ses élèves en présence de livres pour qu'ils aient envie de lire.

Le pire, c'est qu'il n'y a même plus cette « indifférence aux différences » dont parlait Bourdieu, mais une résignation aux différences sous la forme d'une bienveillance compassionnelle sans doute sincère et qui donne bonne conscience. L'élève qui va se retrouver en difficulté ne perçoit pas les dispositifs de l'école comme un moyen d'accès aux savoirs mais comme une demande de conformité. Il va donc se soumettre aux rituels de l'école, en mimer les usages comme signes extérieurs de l'étude. L'enseignant compatissant va penser l'encourager en saluant une « participation » superficielle qui n'est qu'un leurre rendant d'autant plus incompréhensibles à l'enfant ses mauvais résultats ultérieurs. Travailler à l'école, c'est, pour cet enfant, avant tout obéir aux consignes, l'exercice a sa fin en lui-même, le lien avec des notions et des exercices antérieurs qui semble aller de soi pour l'enseignant n'a rien de spontané. Pour l'enfant de milieu populaire particulièrement, dans l'univers peu familier de l'école, les tâches doivent être précisément cadrées, leurs objectifs ne peuvent pas être considérés comme implicites et doivent être clairement désignés. Il s'agit pour l'enfant d'élaborer ce qu'on appelle en langage savant la capacité métacognitive. C'est un objectif pédagogique essentiel mais qui n'est pas exprimé dans les programmes parce que réputé aller de soi. La métacognition se définit ici comme « la représentation que l'élève a des connaissances qu'il possède et de la façon dont il peut les construire et les utiliser » (Nicole Devolvé dans Les Cahiers pédogogiques). Cette capacité qui va conditionner toute la scolarité est censée se mettre en place d'elle-même, ce qui est d'autant moins vrai que l'enfant est plus éloigné de l'univers scolaire. Le risque pour ce dernier est alors d'être stigmatisé, de diverses manières, comme déviant...

27 janvier 2014