Le sauvetage du capitalisme

Confrontés aux aberrations, que l’on ne peut plus dissimuler, de l’économie de marché, tel ce « permis de dévaster », selon l’expression de John Kenneth Galbraith, dont dispose la finance, les libéraux s’efforcent de sauver les grands mythes censés assurer la pérennité du mode de production capitaliste. L’un d’entre eux a la vie dure, celui selon lequel le capitalisme par lui-même serait producteur de richesses. Ce qui est évidemment une grossière falsification: ce n’est pas le capitalisme mais le génie et le travail humains qui produisent les richesses! Le capitaliste n’est là, en parasite, que pour les accaparer, les détourner à son seul profit. Le capitaliste a des sous, son seul objectif dans la vie est d’en avoir toujours davantage et plus il en aura, nous disent les apologistes, plus il y aura quelques retombées concédées aux non capitalistes -lesquels constituent tout de même l’immense majorité de nos contemporains- qui devraient donc être très heureux de voir les riches s’enrichir toujours plus! Le devenir de la société est le cadet des soucis du capitaliste dont l’unique ambition est de « mettre sur le marché » n’importe quoi pourvu que ça lui rapporte, il y a même une « éthique » libérale, pour lui donner bonne conscience, d’après laquelle c’est en s’enrichissant personnellement que l’on fait le bonheur de l’humanité. Si, si, c’est sérieux! Dans le sinistre univers mental du capitalisme, tout se vend et tout s’achète, la valeur d’usage d’un bien n’est rien, seule compte sa valeur d’échange! Et tout cela sécrète une délicate morale selon laquelle l’appât du gain serait le seul moteur des relations humaines.

L’autre tarte à la crème, c’est le « risque ». L’ « entrepreneur » serait celui qui, doté par le destin d’ « audace » et d’ « initiative », saurait se risquer à investir sur un marché quelconque et même ainsi à « créer des emplois » ce qui devrait, pense-t-il, suffire pour lui attirer la reconnaissance éperdue des basses classes. Mais de quel « risque » s’agit-il? A-t-on jamais vu un patron du CAC 40 sur la paille ou un banquier fréquenter les Restos du cœur? Ceux qui sont en réalité exposés aux « risques » que prennent les capitalistes, ce sont les dizaines de milliers de salariés victimes de licenciements et donc de « risques » qu’on ne leur a pas laissé le loisir de choisir. Les grands patrons et leurs affidés qui prêchent tant pour les autres la « prise de risque » se garantissent pour leur part soigneusement, que ce soit avec les parachutes dorés comme indemnités de licenciement ou les stock options comme assurance chômage!. Ainsi que le remarque le philosophe Slavoj Zizek à propos de la crise financière, « s’il est vrai que nous vivons dans une société de choix risqués, certains (les patrons de Wall Street) opèrent des choix tandis que les autres (les gens ordinaires payant des hypothèques) assument les risques ».

Le mythe de la concurrence pure et parfaite diabolisant l’intervention de l’Etat est en déroute. Les libéraux devraient se taire. Mais non, toute honte bue, les voilà qui exigent de cet Etat abhorré qu’il regonfle le mythe et allonge les milliards. Voyez Mme Parisot, en décembre 2007 elle nageait dans le bonheur et la bonne humeur, « nous sommes tous assez joyeux » disait-elle au nom des patrons, se réjouissant d’une « exceptionnelle » année 2007 et louant le « cercle vertueux des réformes ». Et elle n’a rien vu venir. Ces gens nous bassinent avec une compétence économique dont ils seraient seuls détenteurs, ils revendiquent une prétendue expertise qui n’est d’ailleurs que le sens de leur intérêt bien compris et ils ne sont même pas fichus d’anticiper l’ampleur d’une crise comme celle à laquelle ils sont aujourd’hui confrontés! Du coup Mme Parisot vient maintenant pleurer sur la « catastrophique » année 2008 en cherchant (et en trouvant) le réconfort des députés de l’UMP. Elle fait sans vergogne dans la métaphore de la catastrophe naturelle, « il faut savoir que le patron il a de l’eau qui lui arrive jusqu’au cou et il se demande à chaque instant s’il ne va pas se noyer ». Comment ne pas chavirer d’émotion devant tant de détresse! Quelle image pathétique que celle du malheureux patron coulant sous le poids de « charges » sociales indignes et des revendications démesurées de salariés à l’ingratitude révoltante. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour désapprouver le « plan de sauvetage » préparé par Sarkozy! Bien entendu, il faut aussi maintenir les « réformes », toujours les mêmes qui, depuis des années, permettent de matraquer les peuples sous l’égide du FMI: gel ou réduction des salaires, mise en cause des services publics attaqués pour mieux être privatisés, restriction des protections sociales... Mais l’imposture éclate parfois: les bonimenteurs de la retraite par capitalisation font profil bas en ce moment. Les fonds de pension américains viennent de perdre au moins 1 000 milliards de dollars, ce qui augure pour les futurs retraités « capitalistes » les mêmes calamités que celles promises aux retraites par répartition: hausse des cotisations, diminution des pensions, allongement de la vie professionnelle. C’était bien la peine! C’est la fin de l’âge d’or pour les retraités américains... Les Français sont plus malins, ils n’ont pas mordu: c’est en France que la part des fonds de pension dans le PIB est la plus faible (avec le Luxembourg) (voir Le Monde Economie, 21.10.2008).

24 novembre 2008