Surexploitation et pénibilité

Il faut dire clairement quel est l'objectif de l'offensive patronale qui se déchaîne depuis plusieurs mois : un renforcement de l'exploitation de la force de travail. Il se trouve que le pouvoir politique en place, que l'on n'ose même plus dire social-libéral, prête une oreille attentive et complaisante aux moindres revendications du patronat lequel n'a qu'à claquer des doigts pour obtenir ce qu'il veut. Après les cadeaux fiscaux et les subventions à perte, voici le moment des bontés législatives dont la loi Macron n'est qu'un avant-goût. La surexploitation que vise le capital exige de mettre à mal l'ensemble des protections des salariés que synthétise ce que les économistes distingués appellent avec dédain notre « modèle social ».

     Comme le remarque Pascal Lokiec, professeur de droit à Paris-Ouest Nanterre, la loi Macron « poursuit une volonté pleinement assumée par le gouvernement de réduire les protections que le droit du travail a forgées au fil des années » (l'Humanité, 18.12.2014). Il y a là une attaque d'ampleur inédite qui touche au plan anthropologico-politique par sa mise en cause du contrat tacite par lequel l'Etat, après tant de luttes syndicales et sociales, garantissait un minimum de limites légales à l'exploitation capitaliste. On oublie toujours que le principe du salariat met le salarié dans une dépendance totale vis à vis du patron et que celui-ci sera naturellement conduit à en tirer le maximum si aucune borne ne lui est mise. Ainsi que le conclut Pascal Lokiec, « il n'est pas inutile de rappeler que la protection n'est que la contrepartie de la subordination inhérente au travail salarié et qu'elle ne saurait être bradée pour une finalité qui n'est pas la sienne (ici la soi-disant création d'emplois, GLS). A ce compte, pourquoi ne pas simplement brûler le Code du travail ». Beaucoup y pensent déjà. Tenez, comme ce M. Gilbert Cette, économiste bien en cour, qui préconise de « refonder le droit social » en « permettant à des accords collectifs entre partenaires sociaux de pouvoir déroger à toutes les dispositions du Code du travail »... C'est-à-dire de les supprimer... « Dans les limites de l'ordre public », ajoute-t-il avec humanité et dans « le respect de la santé, de la dignité et de la vie privée du travailleur » (le Monde,15.10.2014). M. Cette est trop bon...

     L'attitude du patronat face à la mise en place du « compte pénibilité » est ici particulièrement révélatrice. On sait que ce compte est une des deux ou trois mesures concédées à la CFDT pour que celle-ci puisse justifier sa signature de l'accord scélérat dit ANI dont le but essentiel est la facilitation des licenciements, obsession patronale bien connue. La CFDT s'est bien fait avoir, la complaisance ne paye pas... Car la « pénibilité », les patrons n'en veulent pas ! Le Monde parle de la « farouche opposition des patrons » (28/29.12.2014), Les Echos reconnaissent « l'opposition résolue  du patronat à ce dispositif » (08.10.2014). Ils vont donc s'employer, avec un mépris significatif, à en ridiculiser les dispositions. Sur les dix facteurs de pénibilité, le gouvernement a déjà reculé et seulement quatre d'entre eux devraient entrer en vigueur en janvier 2015 : travail de nuit, travail répétitif, travail en équipes postées, travail sous pression hyperbare. Les six autres sont reportés en janvier 2016 (gestes et postures, bruit, port de charges, agents chimiques, vibrations mécaniques, températures extrêmes)... Ce qui fait ricaner M. Dominique Seux, lequel, aux Echos, a tout le confort voulu : quoi, les patrons « auraient dû commencer à compter seulement les heures pendant lesquelles le buste de leurs salariés est penché en avant selon un angle de plus de 20 degrés ! » (4/5.07.2014). Doctrinaire ultralibéral, M. Seux n'est pas à une muflerie antiouvrière près... Un certain Courteix, patron du BTP, ironise lourdement : « avec le compte pénibilité, je devrais contrôler quand mes employés passent de l'ombre au soleil parce qu'à ce moment là ils passeraient sous un régime de pénibilité » (l'Humanité, 5/6/7.12.2014). Impudente goujaterie d'un patron de combat... C'est aussi ça la lutte des classes ! 

    La lutte des classes, c'est également une syntaxe. Dans ces deux citations, pour l'une on parle des patrons et de « leurs salariés », pour l'autre, c'est moi patron et « mes employés ». Cela n'a l'air de rien, mais ces possessifs révèlent le statut de propriété patronale que certains voudraient conférer aux travailleurs dans l'entreprise, achetant les corps en en achetant la force de travail...

 

12 janvier 2015